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Le pluriel neutre est féminin.
Nemo marche le long du fleuve.
Il n’est encore bordé que d’herbes folles, et sur la berge opposée, c’est une plaine qui s’échoue jusqu’à l’horizon. Le courant charrie quelques poissons invisibles, des entrelacs de brindilles et déjà beaucoup de boue. Jusqu’aux extrêmes limites du regard, ce n’est qu’une prairie grise, où le fleuve serpente comme une longue plaie.
Nemo frôle l’herbe du bout des doigts. Elle clôt son regard pour mieux apprécier le vent sur son visage. Le vent disperse les bruits et les odeurs.
Soudain, elle éprouve la peur de voir réapparaître la ville lorsqu’elle ouvrira les yeux. Que la plaine aura disparu, remplacée par les quais, et qu’en se retournant, en lieu d’horizon il n’y aura plus que la foule angoissante des maisons.
Mais le vent ne cesse pas de souffler. Un sourire dégage son visage.
Quand la nuit se laisse enfin tomber sur la plaine, et que les étoiles viennent piqueter le ciel de leurs manières scintillantes, le vent diminue d’intensité. Nemo continue à marcher, sans se presser ; elle sait qu’au bout de la blessure il y aura la ville.
Petit à petit la plaine cède au bitume. La terre se retire comme à regret, mue abandonnée par le monstre qui s’arrache du paysage, et dont la gueule de cheminées se dresse déjà au-dessus du monde. Elles crachent le brouillard noir qui enveloppe la ville. Bientôt les herbes ne sont plus qu’un souvenir, les quais s’élèvent depuis les berges du fleuve et ses eaux exhalent à nouveau leur souffle glauque. Les maisons se resserrent jusqu’à se marcher dessus comme des bêtes pataudes, et Nemo voit réapparaître les bateaux et les roulottes, les dockers et les prostituées, les marins et les marchandes de fleurs, et le joueur d’orgue de Barbarie. La foire aux corps étale ses cris et ses chairs. La ville reprend ses droits sur le rêve. Le vent ne souffle plus.