Prologue

Apart from ghosts nothing lives here for long. No cats,
no mice, no flies, no dreams, no bats. Two days ago
I saw a butterfly,
a monarch I believe, which danced from room to room
and perched on walls and waited near to me.

A part les fantômes rien ne vit ici longtemps. Ni chats,
ni souris, ni mouches, ni rêves, ni chauves-souris. Deux jours plus tôt
je vis un papillon,
un monarque je crois, qui dansait de salle en salle
et se perchait sur les murs et attendait près de moi.

Neil Gaiman
The Hidden Chamber
Fragile Things

Nemo marche le long du fleuve.
Il n’est encore bordé que d’herbes folles, et sur la berge opposée, c’est une plaine qui s’échoue jusqu’à l’horizon. Le courant charrie quelques poissons invisibles, des entrelacs de brindilles et déjà beaucoup de boue. Jusqu’aux extrêmes limites ce n’est qu’une prairie grise, où le fleuve s’ouvre comme une plaie.
Nemo touche l’herbe du bout des doigts. Elle ferme les yeux pour mieux apprécier le vent sur son visage. Le vent disperse les bruits et les odeurs.
Soudain, elle éprouve la peur de voir réapparaître la ville lorsqu’elle les rouvrira. Que la plaine aura disparu, remplacée par les quais, et qu’en se retournant, en lieu d’horizon il n’y aura plus que la foule angoissante des maisons.
Mais le vent ne cesse pas de souffler. Un sourire dégage son visage.

Quand la nuit se laisse enfin tomber sur la plaine, et que les étoiles viennent piqueter le ciel de leurs manières scintillantes, le vent diminue d’intensité. Nemo continue à marcher, sans se presser ; elle sait qu’au bout de la blessure il y aura la ville.
La nuit durant, elle se perd du côté du fleuve. Elle se perd dans les herbes hautes et la boue des berges, dans l’obscurité autour du monde, et la nuit grouillante de songes.
Elle s’immerge. Immobile sous la surface, elle y demeure jusqu’à ce que ses pensées s’entendent, que sa respiration s’apaise. Lorsqu’elle sort de l’eau, elle voit au loin la ville et ses lumières, et se remet en marche.

Petit à petit l’herbe cède au bitume. La terre se retire comme à regret, mue abandonnée par le monstre qui s’arrache du paysage. Les cheminées crachent un smog qui emmitoufle la ville. Bientôt la plaine n’est plus qu’un souvenir, les quais s’élèvent depuis les berges et le fleuve exhale à nouveau son souffle glauque. Les maisons se resserrent jusqu’à se marcher dessus comme des bêtes pataudes, et Nemo voit réapparaître les bateaux et les roulottes, les dockers et les prostituées, les marins et les marchandes de fleurs, et le joueur d’orgue de Barbarie. La foire aux corps étale ses cris et ses chairs. La ville reprend ses droits sur le rêve. Le vent ne souffle plus.

Chapitre 1 : Après le rêve >